Alors que les débats sur la santé mentale des étudiants ont ressurgi suite à la crise sanitaire et à l’heure de la réforme du 2e cycle, nos équipes pédagogiques ont développé, en collaboration avec les étudiants et des usagers, un concept pédagogique unique en son genre. Nommé temporairement “UE Savoir-Être et communication thérapeutique”, ce programme d’enseignement tourné vers l’empathie constitue une véritable innovation éthique et pédagogique. Afin d’en savoir plus, nous nous sommes tournés vers les porteurs de ce projet : Dr Amandine Luquiens et Pr Céline Bourgier ainsi que vers Théo Lacoste, étudiant membre du comité de pilotage.
Génèse d’un projet centré sur l’empathie
Un besoin d’évaluation né des modalités d’évaluation de la R2C
En 2018, le projet de réforme du second cycle des études médicales (R2C) arrive dans les mains des différents responsables pédagogiques de la Faculté et interpelle le Pr Céline Bourgier. En effet, celle-ci constate que les modalités d’évaluation des étudiants suite à la R2C porteront entre autres sur l’évaluation du savoir-être et de l’empathie des étudiants, au travers du certificat de compétences cliniques (C3). Or, à ce moment-là, aucun enseignement entièrement dédié au développement de cette compétence n’existe dans notre offre de formation.
Rejointe en 2019 par Dr Amandine Luquiens, psychiatre-addictologue au CHU de Nîmes, les deux médecins vont donc s’associer pour piloter le projet de développement d’une unité d’enseignement novatrice, à même de répondre aux exigences de la R2C. Leur première piste est d’étudier le niveau actuel d’empathie des étudiants en médecine.
Un constat interpellant : l’empathie des étudiants en médecine décline au fil de leurs études
Leurs premiers constats sont surprenants. En effet les deux praticiennes, découvrent au gré de leurs recherches bibliographiques que les étudiants en médecine ont tendance à subir un déclin de leur empathie tout au long de leurs études. “Ce déclin débute de manière concomitante avec les stages hospitaliers. Il semblerait que la différence entre “l’idéalisation du métier de soignant” et la “réalité du métier de soignant” soit un facteur déclenchant” – explique Amandine Luquiens
Autre observation : ce déclin est très fortement corrélé aux problèmes de burn-out et de dépression que peuvent rencontrer les étudiants en santé.
Un enseignement structuré pour enrayer ce déclin et prévenir une meilleure qualité des soins futurs
Ces constats motivent les porteuses de projet à créer une nouvelle unité d’enseignement (UE) innovante, portée par un objectif double :
- Donner aux étudiants les outils et les compétences nécessaires à l’augmentation de la qualité des soins, en leur inculquant une approche centrée sur la personne et non pas seulement sur les symptômes / pathologies
- Prévenir les risques psycho-sociaux, pour les patients, mais aussi pour les étudiants, futurs professionnels de santé.
Ces deux éléments complémentaires seront dès lors co-développés par un comité dédié, composé d’enseignants, d’étudiants et d’usagers.
Une UE co-construite pour l’acquisition de compétences autour de l’empathie envers soi-même et envers les patients
Étapes de la construction de l’UE
Une telle UE nécessite une période de création puis d’expérimentation qui se concrétisera au sein de la Faculté en 5 grandes étapes :
Une UE structurée pour faciliter l’acculturation des étudiants au sujet de la gestion des émotions
Comme le rappelle Théo Lacoste, Vice-Doyen étudiant 21-22, les étudiants en médecine sont “perfectionnistes” : “Ils sont sélectionnés car ce sont les meilleurs. Et ce mode de sélection se poursuit au cours des années. Le besoin d’être ou du moins de paraître “infaillible” à tous les niveaux – que ce soit professionnellement ou émotionnellement – continue jusqu’à devenir une composante presque culturelle de notre façon de penser.”
Or, c’est précisément une acculturation sur ce sujet que doit susciter cette UE : Amandine Luquiens le précise : “Nous recherchons une acculturation des étudiants, voire même, de la Faculté dans son ensemble. La Faculté prend soin de ses étudiants et les étudiants doivent prendre soin d’eux. Nous allons ainsi les aider à se saisir d’outils qui vont de pair à la fois pour se protéger mais aussi pour enrayer la “suppression émotionnelle” ; une stratégie de gestion utilisée depuis de nombreuses années par les médecins pour appréhender la relation patient-soignant.”
Pour parvenir à cet objectif, l’UE est structurée autour de 4 grands modules, tous obligatoires :
- Initiation à la méditation de pleine conscience
- Echanges de pratiques entre pairs : ce module permet de libérer la parole mais également de mieux appréhender la communication professionnelle au sein d’une équipe de soignants
- Communication thérapeutique : un module sur plusieurs années avec des enseignements théoriques sur les annonces, l’intégration de l’atelier-théâtre et des ateliers de simulation.
- Stigmatisation dans les soins : un module avec l’intervention d’usagers qui témoignent devant les étudiants de situations qu’ils ont pu vivre au cours de leur parcours de soin
En résumé : une initiative innovante, à plus d’un titre
L’humanisme est une valeur cœur de la Faculté. Elle est partie intégrante de son histoire, mais elle constitue également une valeur porteuse pour son avenir, comme en témoigne ce programme innovant, à plus d’un titre. En effet, il s’agit là d’une innovation éthique et pédagogique :
- co-créée avec les étudiants, les équipes pédagogiques, les usagers et les personnels administratifs : un véritable exemple de collaboration transversale entre les femmes et les hommes de notre communauté
- qui s’intéresse à une véritable problématique sociale et sociétale des étudiants en santé et qui intervient suffisamment tôt dans leur cursus pour l’anticiper et suffisamment longtemps pour la traiter en profondeur
- qui intègre des modules théoriques mais aussi et surtout des modules très pratiques, centrée sur une approche humaine de la relation patient-soignant, notamment au travers d’ateliers de simulation
- créatrice de compétences clés autour de l’empathie et du savoir-être : des outils indispensables pour une médecine plus humaine
- porteuse d’un message à la fois pour les étudiants mais aussi pour leurs futurs patients
Des perspectives ouvertes sur les autres cursus
La mise en place de cette UE sur le cursus médecine pose inévitablement la question des autres filières portées par la faculté (maïeutique, paramédical). “La médecine est relativement en retard par rapport aux autres cursus”, concède Dr Luquiens. “En effet, il existe déjà des UE dans les autres cursus, mais pas de manière aussi structurée dans le temps. L’idée est donc, une fois cette UE fiabilisée “d’essaimer” sur les autres filières, dans une volonté d’approche transdisciplinaire de ces compétences.”